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Projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public

L'assemblée natiionale a adopté hier soir le texte sur la "burqa".

 

Petit retour en arrière :

 

Le 22 juin 2009, dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le Président de la République a déclaré : la burqa « n'est pas un problème religieux. C'est un problème de liberté et de dignité de la femme. C'est un signe d'asservissement. Ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de la dignité de la femme. Je veux le dire solennellement : la burqa n'est pas la bienvenue sur le territoire de la République française ».

 

Cette déclaration solennelle du Président de la République a ouvert un vaste débat public auquel des personnalités de tout horizon ont participé – philosophes, sociologues, etc. - et qui a largement dépassé les clivages politiques. A l’issue de ce débat, notre majorité a considéré que nous devions apporter une réponse de fermeté face au développement de pratiques radicales, telles que le port du voile intégral, contraires aux exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans la société française. Cette réponse est double :

 

le temps de l’explication avec le vote par l’Assemblée nationale le 11 mai dernier d’une proposition de résolution sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte.

 

le temps de l’action avec l’examen début juillet d’un projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, présenté en conseil des ministres du 19 mai dernier, sur le fondement constitutionnel de l’ordre public.

 

Très proche, dans sa rédaction, du texte proposé par les députés du Groupe UMP en janvier dernier, ce projet de loi vise à interdire, au sein de tout l’espace public, le fait de dissimuler son visage. La méconnaissance de cette règle, qui ne s’appliquera qu’après une période de six mois de pédagogie, est punie d’une amende de 150 euros maximum ou d’un stage de citoyenneté. En outre, le texte crée une nouvelle infraction réprimant le fait de contraindre une personne à se dissimuler le visage à raison de son sexe d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (au lieu de 15 000 euros d’amende prévu initialement). 

 

La commission des lois a adopté le 23 juin dernier le texte, avec les voix de l’UMP et du Nouveau Centre et sans vote négatif des députés SRC et GDR. Un amendement adopté à l’unanimité alourdit les sanctions en cas de dissimulation forcée du visage (article 4).

 

LA PRATIQUE DU PORT DU VOILE INTEGRAL SUR LE TERRITOIRE NATIONAL : ETAT DES LIEUX ET ETAT DU DROIT

 

1) Un phénomène nouveau, encore marginal mais en progression

Selon une étude citée par le ministre de l’Intérieur, près de 1 900 femmes seraient voilées intégralement en France. Elles portent le niqab, voile qui dissimule tout le corps, y compris le visage, à l’exception des yeux (et non la burqa qui couvre les yeux d’un grillage). Bien que marginal, ce phénomène serait toutefois en progression, notamment dans certaines grandes villes.

Il n’existe pas de profil type de ces femmes mais, selon les données disponibles, elle présente les caractéristiques suivantes :

  • Des femmes relativement jeunes : la moitié d’entre elles est âgée de moins de 30 ans et l’immense majorité, soit environ 90 %, a moins de 40 ans 
  • Des femmes pour la plupart de nationalité française : plus précisément, 2/3 des femmes seraient françaises et, parmi elles, la moitié de ces femmes appartiendrait aux deuxième et troisième générations issues de l’immigration 
  • Les femmes voilées seraient, pour un quart d’entre elles, des converties à l’islam, nées dans une famille de culture, de tradition ou de religion non musulmane.

Selon les représentants du conseil français du culte musulman (CFCM), le port du voile intégral n’est pas une prescription religieuse. Il repose sur une vision ultra minoritaire de l’islam. Historiquement, il apparaît davantage lié aux us et coutumes en vigueur dans certaines sociétés du Moyen-Orient avant leur conversion à la religion musulmane.

Concernant la présence du salafisme en France, les pouvoirs publics recenseraient sur le territoire national : quelque 12 000  salafistes, contre 5 000 environ en 2004 selon une enquête des Renseignements généraux réalisée en 2004 ; une cinquantaine de lieux de culte musulman contrôlés par des groupes salafistes sur les 1 900 localisés sur le territoire français ; 41% des femmes portant le voile intégral évolueraient dans la mouvance salafiste[1].

2) Une réglementation éparse et hétérogène

En France, le port du voile intégral est interdit dans deux cas : 

  • pour les agents publics, dans l’exercice de leurs fonctions au nom du principe de laïcité et leur obligation de réserve et de neutralité
  • dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire publics (mais pas dans l’enseignement supérieur), la loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse 

Par ailleurs, le port du voile intégral peut être interdit pour les salariés et les personnes qui fréquentent les locaux d’entreprise, sur décision du chef d’établissement motivée par le souci d’assurer son bon fonctionnement. En application de l’article L. 1121-1 du Code de travail, l’employeur ne peut apporter aux libertés individuelles que des « restrictions justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché ».

 

Sur le fondement de la sécurité publique ou de la lutte contre la fraude, des mesures d’interdiction de la dissimulation du visage dans certaines circonstances ou certains lieux peuvent être prises. C’est notamment le cas :

  • des contrôles d’identité et des vérifications d’identité prévus par le code de procédure pénale 
  • des règles propres à la réalisation des documents d’identité (photographies tête nue) 
  • de l’accomplissement de certaines démarches officielles (mariage, acquisition de la nationalité française, vote, remise des enfants à l’école, etc.).
  • de l’accès à certains lieux, lorsque des motifs de sécurité l’exigent (cela a été expressément jugé pour les consulats ou l’accès aux salles d’embarquement d’aéroports) 
  • de l’accès à des lieux ou des services réglementés, lorsque l’identification de la personne ou des vérifications liées à des caractéristiques objectives sont nécessaires (exemple : accès aux débits de boisson en fonction de l’âge ou encore aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique et en particulier d’événements sports faisant craindre un trouble à l’ordre public).

En conclusion, le port du voile intégral est libre, en principe, sur la voie publique et dans les lieux ouverts, sauf en cas de manifestations sur la voie publique. Il est libre pour les usagers du service public, sauf les élèves du primaire et secondaire publics et sauf dans le cadre de certaines démarches administratives. Il est libre pour les salariés du secteur privé sauf dans certains cas particuliers, qui dépendent des circonstances. Il est interdit pour les fonctionnaires et les agents publics pendant la durée du service.

 

Qu’en est-il dans les pays européens ? 

 

De plus en plus d’États européens réfléchissent à une interdiction de la dissimulation du visage dans certains espaces. Ainsi, fin avril 2010, la chambre des députés belge a adopté en première lecture une proposition de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Plusieurs villes de la région de Catalogne en Italie ont fait de même. Le gouvernement espagnol songe à emprunter, lui aussi, la voie de l’interdiction générale dans les lieux publics, sous la pression des sénateurs qui, le 23 juin dernier, ont approuvé une motion en ce sens.

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DES FONDEMENTS JURIDIQUES SOLIDES EN FAVEUR D’UNE INTERDICTION GENERALE ET ABSOLUE DANS L’ESPACE PUBLIC

  

1) La dissimulation du visage dans l’espace public, incompatible avec les exigences de notre « vivre ensemble »

 

Dans son discours du 22 juin 2009 devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le Président de la République a jugé que la burqa « n'est pas un problème religieux. C'est un problème de liberté et de dignité de la femme. C'est un signe d'asservissement. Ce n'est pas l'idée que nous nous faisons de la dignité de la femme. Je veux le dire solennellement : la burqa n'est pas la bienvenue sur le territoire de la République française ».

 

A l’occasion d’un déplacement à la Chapelle-sur-Vercors (Drôme) le 12 novembre 2009, il a réaffirme solennellement : « La France est un pays où il n'y a pas de place pour la burqa, où il n'y a pas de place pour l'asservissement de la femme, sous aucun prétexte, dans aucune condition et dans aucune circonstance ».

 

Comme l’a affirmé très solennellement la proposition de résolution adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 11 mai, la pratique du port du voile intégral est contraire aux valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité. La dissimulation du visage dans l’espace public est contraire à notre idéal de fraternité et constitue une atteinte au respect de la dignité de la personne et un refus ostensible de l’égalité entre les hommes et les femmes.

 

L’exposé des motifs du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public déposé par le Gouvernement est également très clair : c’est parce qu’elle constitue une remise en cause de ces règles fondamentales de notre vie en société que la dissimulation du visage ne peut être tolérée dans aucun lieu de l’espace public.

 

Dans ce cadre, seule une interdiction générale et absolue dans l’espace public est susceptible de répondre au problème posé. Une interdiction partielle du port du voile intégral selon les circonstances et lieux, telles qu’elles ont été envisagées au cours du débat public et en particulier dans l’étude juridique du Conseil d’Etat, constitueraient une « réponse insuffisante, indirecte et détournée au vrai problème posé », celui du respect des règles fondamentales de notre pacte social républicain.

 

2) Pour une conception renouvelée de l’ordre public

 

Dans l’exposé des motifs, le projet de loi s’appuie sur une conception renouvelée de l’ordre public pris dans sa dimension immatérielle, c’est-à-dire comme « socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société ».

 

Le Conseil d’Etat, dans son étude juridique, avait suggéré cette approche nouvelle de l’ordre public mais avait jugé qu’elle était juridiquement trop novatrice. Elle n’a en effet pas encore été théorisée en tant que telle par le Conseil constitutionnel ou la CEDH et ne jouit donc pas de la solidité juridique de l’ordre public matériel (sécurité, tranquillité et salubrité publique).

 

En revanche, la jurisprudence administrative s’est déjà appuyée sur cette notion d’ordre public non matériel comprenant :

  • d’une part, la dignité de la personne humaine et notamment depuis le célèbre arrêt relatif au lancer de nain (CE, 27 octobre 1995, commune de Morsang-sur-Orge).
  • d’autre part, ainsi que le principe de moralité publique qui sert de fondement à l’exercice de certaines polices administratives spéciales.

 Pour le Professeur de droit public, Guy Carcassonne, l’ordre public immatériel est un des principes qui irrigue en profondeur notre tradition juridique et notamment : l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (« la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société »), l’article 3 de la Constitution qui évoque « l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité » qui unit la République et les populations d’outre-mer.

 

 

UN PROJET DE LOI QUI VISE A INTERDIRE TOUTE DISSIMULATION DU VISAGE DANS L’ESPACE PUBLIC, CONTRAIRE AUX EXIGENCES DE NOTRE « VIVRE ENSEMBLE »

 

Le projet de loi, qui comporte sept articles, prévoit :

 

L’article 1er énonce le principe selon lequel « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Comme le précise l’exposé des motifs, la dissimulation volontaire du visage est « contraire (aux) valeurs fondatrices du contrat social ».  

 

L’article 2 apporte quelques précisions nécessaires à la mise en œuvre effective de la règle énoncée à l’article 1er :

  • Il précise ainsi la nature des lieux qui composent l’espace public : il s’agit non seulement des voies publiques mais aussi, plus généralement, des lieux ouverts au public et des lieux affectés aux services publics.
  • Il précise également les cas dans lesquels des motifs légitimes peuvent justifier une dissimulation – limitée dans le temps – du visage.

L’article 3 prévoit que la méconnaissance de l’interdiction est sanctionnée de l’amende prévue pour les contraventions de deuxième classe, soit 150 euros maximum, et précise qu’un stage de citoyenneté peut être substitué ou prescrit en complément à la peine d’amende.

 

L’article 4 réprime, au titre des atteintes à la dignité de la personne, le fait de contraindre une personne à dissimuler son visage. Cette nouvelle infraction, qui constitue un délit, est sanctionnée d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

 

Un amendement adopté à l’unanimité en commission prévoit : de doubler l’amende de 15 000 à 30 000 euros et de porter les peines à 2 ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende lorsque la dissimulation forcée concerne une mineure.

 

L’article 5 prévoit que l’interdiction de dissimuler son visage en public et la sanction des personnes qui ne respectent pas cette interdiction entreront en vigueur six mois après le vote de la loi afin de préparer l’application effective de la règle par un effort de pédagogie et de médiation.

 

L’article 7 prévoit la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement, dix-huit mois après sa publication, sur la mise en œuvre des dispositions de la loi, des mesures d’accompagnement et des difficultés rencontrées.

 

Interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public : quelle application ?

Si les forces de l’ordre constatent une infraction à cette interdiction, elles dressent un procès-verbal de constatation d’infraction. Celui-ci est transmis au Parquet et le procureur de la République propose au contrevenant une sanction (amende de 150 euros et/ ou stage de citoyenneté) qui, en cas d'accord du contrevenant, est homologuée par le juge de proximité (tribunal de proximité). En cas de désaccord, le juge de proximité décide de la sanction à appliquer (amende et/ou stage de citoyenneté). Pour mémoire, si la contrevenante refuse le contrôle de son identité, les forces de l’ordre peuvent, en cas de nécessité, la retenir sur place ou dans un local de police pour vérifier son identité, sur le fondement des articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale.

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