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GRECE : trois sauvetages et un enterrement

L'accord de Bruxelles sur le troisième plan de sauvetage de la Grèce, comporte une bonne nouvelle à court terme, et deux très mauvaises nouvelles à moyen et long termes.

La bonne nouvelle, dont se gargarise François Hollande, est d'avoir évité le saut dans l'inconnu : la sortie de la Grèce de l'euro, les souffrances du peuple grec, et peut-être le début de la fin de l'aventure de l'euro, avec le risque d'attaques spéculatives des marchés contre d'autres Etats surendettés, y compris le nôtre.

Cette bonne nouvelle valait-elle pour autant les 86 milliards d'euros supplémentaires confiés à un Gouvernement baroque, composé de l'extrême-gauche et de l'extrême-droite nationaliste grecques ? Voici qui nous mène aux deux mauvaises nouvelles. 

La première est que ce chèque énorme ne changera rien, que l'accord en l'état ne fonctionnera pas et que dans quelques mois, nous serons très probablement de retour à la case départ.

Le propre de la folie disait Einstein, « c'est se comporter de la même manière et s'attendre à un résultat différent ». Les optimistes invétérés, partisans des remariages à répétition, vous diront que multiplier les mêmes erreurs n'est rien d'autre que la célébration de l'espoir, au mépris des leçons de l'expérience. 

Le montant d'abord : 86 milliards d'euros, c'est en monnaie constante (valeur 2012) près de deux fois le plan Marshall américain de 1947 qui était destiné à 16 pays ! Et encore ! Le plan Marshall prévoyait que pour chaque dollar reçu, l'Etat bénéficiaire en dégagerait deux pour l'investissement. Cette disposition clef, qui assura jadis la reconstruction de l'Europe ne figure pas dans l'accord de Bruxelles.

Ces 86 milliards s'ajouteront aux 320 milliards de dettes grecques. La moitié de cet argent frais devant d'ailleurs servir à rembourser le FMI et les intérêts des autres créanciers de la dette actuelle. 

Et comme rien ne semble avoir été appris des erreurs d'hier, on continue avec les mêmes recettes du désastre : augmentation des impôts, baisse des pensions, coupes drastiques dans la dépense publique.

S'y ajoute cette fois une nouveauté qui s'avèrera vite insupportable : la mise sous tutelle d'un Etat souverain par les « institutions » c'est-à-dire l'Union européenne, la BCE et le FMI. La zone euro, qui était censée unir les peuples, est en train de se transformer pour les économies les plus faibles en un véritable protectorat : toutes les lois seront désormais soumises aux fameuses institutions avant qu'elles soient présentées devant le Parlement grec ; quant au fond de privatisation (largement surévalué à 50 milliards), il devra servir de garantie aux prêts consentis, et sera géré sous le contrôle direct de Bruxelles. 

Ces conditions seraient simplement intolérables à Paris, à Madrid ou à Rome.  Elles portent le risque d'une contestation permanente, d'une profonde humiliation qui dans le cadre de la Grèce, compte-tenu de l'histoire politique chaotique de ce pays depuis son indépendance il y a deux siècles, conduira inévitablement à l'instabilité, voire à la violence.

Purge insupportable, contraintes par un protectorat qui l'est tout autant, toutes les conditions d'un échec programmé de l'accord sont réunies, au moment même où après six mois de tergiversations, celui-ci est à peine signé. M. Tsipras empoche un chèque de 86 milliards après avoir refusé une offre de 50 milliards il y a quinze jours. Mais le problème fondamental demeure : comment faire coexister à l’intérieur d'une même zone monétaire des économies aussi disparates que celles de la Grèce, essentiellement basée sur le tourisme et un peu d'agriculture, et de grands pays industriels tels que l'Allemagne ? La sagesse aurait voulu que l'on redonne à la Grèce une marge de manœuvre qui lui aurait permis une monnaie nationale et la dévaluation. On a préféré la contrainte et le protectorat... Tout cela au nom de l'Europe. 

Ce qui nous conduit à la deuxième très mauvaise nouvelle. En gardant à toutes forces la Grèce, tout en écrivant dans l'accord lui-même que le reste de l'Europe ne lui fait plus confiance, c'est le cœur même de la zone euro qui est ainsi frappé à mort. La base même de la monnaie commune est en effet la confiance dans les autres partenaires. Ce qui fait la valeur d'une monnaie, c'est la confiance qu'ont ou n'ont pas ceux qui l'utilisent. C'est cette confiance a été enterrée dans cet accord, comme Angela Merkel l'a lucidement reconnu publiquement.

Le « Grexit » a été temporairement évité mais à quel prix ! Chacun saura désormais qu'il suffit de violer suffisamment longtemps toutes les règles, d'exploser tous ses déficits, de présenter de faux budgets, pour ensuite faire chanter le reste du groupe pour obtenir des rallonges supplémentaires, fut-ce au prix d'une humiliation publique. Bref, la machine est durablement et peut être fatalement cassée... 

A cette déroute programmée, s'ajoutent sur l'agenda de l'Union quatre autres « Cavaliers de l'Apocalypse » européenne, dont nul ne semble se soucier vraiment : le prochain départ du Royaume-Uni qui ne peut qu'être conforté dans son désir de sortie par la pantalonnade grecque ; l'échec patent de l'Europe face aux grands problèmes de sécurité de l'heure, de l'Ukraine au terrorisme djihadiste ; l'échec tout aussi patent face aux défis de l’immigration venue du Sud ; et enfin l'échec, lui-aussi hélas trop bien connu de l'Europe à relancer la croissance et l'emploi.

Dans ce contexte, on le voit, l'accord mort-né de Bruxelles sur la Grèce ne règlera rien. Il préfigure au contraire le lent détricotage déjà à l'œuvre de l'entreprise européenne à 28. A force de s'élargir, l'Europe s'est perdue et n'embrasse plus rien... Et certainement plus la confiance des peuples. 

Ceux-là précisément, se demandent ce qui les attend. Pour les Français, déjà écrasés d'impôts et de taxes, qui seront appelés à garantir 40% des 86 milliards supplémentaires octroyés à la Grèce, la facture prend des allures d'emprunts russes. Aux 42 milliards de prêts bilatéraux déjà engagés en pure perte, aux 30 milliards de garantie du Mécanisme européen de stabilité des plans de sauvetage précédents, s'ajouteront au moins 30 autres milliards de garanties. Au total, l'addition se monte à 100 milliards d'euros, soit 5 points de notre PIB. Et pour quel résultat ?

Dans ces conditions, on comprendra que je ne puisse voter en faveur de l'accord de Bruxelles, n'en déplaise à M. Hollande qui, comme le cabri du Général de Gaulle, se contente de scander « Europe, Europe » ... tout en conseillant à nos gouvernants de prévoir d'ores et déjà la quatrième plan de sauvetage, c'est-à-dire le renforcement des règles de gouvernance de la zone euro parallèlement à la préparation d'une sortie organisée de la Grèce, le moment venu. Car inévitablement, au vu de l'état de l'économie et de la société grecque, au vu de la mise sous tutelle qui lui est imposée, ce moment ne tardera pas à venir.

 Pierre Lellouche, Député de Paris, Ancien Ministre, Délégué aux relations internationales des Républicains

 Je souscris pleinement à cette analyse de Pierre Lellouche

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